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Nouvelles perspectives sur la mixité conjugale : le sujet et l’acteur au coeur de l’analyse

1. Le concept de mixité conjugale

Dans une perspective anthropologique, mixité conjugale renvoie à exogamie, c’est-à- dire à une transgression des normes matrimoniales endogamiques. Une union est donc définie comme mixte lorsqu’elle transgresse une norme collective (Streiff-Fenart 2000), une frontière symbolique (une différence de langue, de repères religieux, de nationalité, de références culturelles, etc.), ce qui explique pourquoi les anthropologues2 qui s’intéressent à la mixité conjugale s’attardent particulièrement à la construction/délimitation de ces frontières. Les études sociologiques et démo- graphiques3 portant sur la mixité conjugale posent également leur questionnement en termes d’homogamie/hétérogamie sociale et culturelle en s’attardant aux éléments qui composent la dimension sociale, liée donc à des catégories sociales objectives (processus de socialisation, religion, statut socioprofessionnel, niveau de scolarité, âge, etc.). Dans un article publié en 2008, Beate Collet et Emmanuelle Santelli nous incitent à concevoir la mixité comme étant à la fois culturelle et sociale. Beate Collet (2012) développe cette idée dans un article plus récent :

Objective or cultural differences alone are not sufficient to define mixedness. Cultural, ethnic and racial differences only become significant when they are based on historical and socially constructed differentiations. Our reflection on mixedness must combine perceived differences with the existing social order and norms (Collet, 2012 : 70).

Que l’on s’attarde au caractère exogamique ou hétérogamique de la mixité, le point commun de ces unions est qu’elles apparaissent comme des facteurs perturbateurs de la cohésion du groupe (Collet 1998). En effet, la spécificité des unions mixtes est de déranger les habitudes, d’aller à l’encontre des prescriptions religieuses, de heurter les traditions sociales ou culturelles, c’est d’ailleurs ce qu’affirmaient déjà Doris Bensimon et Françoise Lautman en 1974. Plusieurs chercheurs qui s’intéressent à la mixité conjugale s’entendent également sur le fait que la mixité constitue une remise en cause des attributions héritées (Collet et Philippe, 2008), ce que Catherine Therrien a décrit dans ses travaux comme un éloignement du « home » de l’enfance (Therrien, 2009).

Le terme mixité a par ailleurs un caractère versatile et polysémique. La mixité conjugale n’est pas une donnée objective, puisqu’elle prend une signification différente selon le temps, le lieu et le contexte dans lesquels elle se situe. La barrière entre ces critères étant arbitraire (Barbara, 1993), le couple sera mixte selon l’endroit où l’on aura établi la frontière. Ces critères varient donc, puisqu’ils dépendent de la situation politique et sociale d’un pays à une période donnée. L’étude de Mirjana Morokvasic- Muller (2004) portant sur les mariages interethniques en ex-Yougoslavie montre bien que le marquage des frontières est lié au contexte social et politique dans lequel les couples mixtes évoluent. Des individus considérés comme faisant partie du même côté de la frontière que « Nous » peuvent soudainement, pour des raisons de conflits politiques, se retrouver dans le groupe de « l’Autre » (Varro, 2008). Le caractère arbitraire de la mixité conjugale tient également dans le fait que sa délimitation dépend du point de vue de l’observateur et des acteurs (Varro, 1995). Ce n’est pas la différence en soi qui détermine la mixité, mais la pertinence que lui confèrent l’observateur et les acteurs dans un contexte donné. Bien que certains critères soient posés par le chercheur pour définir son groupe d’étude, cela ne signifie en rien que les couples choisis ressentent leur union comme mixte. Tout dépend de la signification sociale que les acteurs attribuent au terme mixte, terme connoté historiquement comme l’explique clairement Gabrielle Varro dans son livre publié en 2003, Sociologie de la mixité. De la mixité amoureuse aux mixités sociales et culturelles.

2. Les théories entourant la mixité conjugale

2.1. D’anciens cadres théoriques qui évacuent l’individu

Les divers cadres théoriques qui ont longtemps dominé les études sur les couples mixtes ont en commun de ne pas mettre l’accent sur l’identité personnelle et les trajectoires individuelles, mais sur d’autres dimensions, comme des structures macrosociales, des définitions basées sur des critères objectivables ou encore des facteurs sociologiques explicatifs. Parmi ces théories, nous en distinguons quatre types : la théorie de l’échange compensatoire, la perspective assimilationniste, les théories qui font des unions interculturelles un laboratoire social et les théories qui placent les structures macrosociales au cœur de leur analyse.

2.1.1 La théorie de l’échange compensatoire

Pour faire une synthèse des théories avec lesquelles les chercheurs ont traité de la mixité conjugale, il faut remonter au début des années 1940 avec la création de la notion d’hypogamie compensatoire de Robert K. Merton (1941) qui a donné naissance à la première théorie portant sur les mariages mixtes: la théorie de l’échange compensatoire. Les travaux qui font une synthèse critique du cadre théorique entourant la mixité conjugale y font tous référence (Root, 2001; Pineault, 2000; Breger et Hill, 1998; Desruisseaux, 1990; Spickard, 1989). La théorie de l’échange compensatoire se fonde sur l’idée que le mariage est avant tout un système d’échange. Cette perspective théorique, par exemple, explique les raisons de l’union d’un homme noir et riche avec une femme blanche de classe moyenne par un système d’échange par lequel l’un des conjoints acquiert un capital social tandis que l’autre augmente son statut économique. Des années plus tard, Valérie Outemzabet (2000) a relié cette même théorie de l’échange compensatoire avec celle du don/contre-don de Mauss, ce qui l’a amenée à comparer le mariage à un marché où les partenaires apportent des ressources susceptibles d’être échangées : beauté, talent, argent, pouvoir, prestige, etc.

Selon Paul R. Spickard (1989), la théorie de l’échange compensatoire représente une approche mercantile du mariage qui s’inspire d’une règle simpliste et qui demeure difficile à prouver. Il souligne avec justesse le fait que cette théorie sous-entende un statut hiérarchique entre hommes et femmes et entre Noirs et Blancs. Rosemary Breger et Rosanna Hill (1998) notent également le caractère sexiste de cette théorie. Valérie Outemzabet (2000), de son côté, voit plutôt ce système d’échange comme un arrangement tout en notant que les hommes et les femmes ne se vendent pas sur le marché matrimonial de la même manière.

2.1.2 La perspective assimilationniste

La perspective assimilationniste est sans doute la théorie qui a dominé – et qui interpelle encore – la recherche sur les unions mixtes, particulièrement aux États-Unis (Alba et Nee, 2003), mais également ailleurs (Scott et Cartledge, 2009). Elle s’est construite à partir du schéma d’assimilation formulé par l’École de Chicago dans les années 1930, de la notion de melting pot forgée par Israel Zangwill en 1908, et reprise par Robert Park en 1950, et du schéma assimilationniste en sept étapes de Milton Gordon en 1964. Cette perspective sociologique analyse les mariages mixtes comme des indicateurs du degré d’assimilation des immigrants dans une société donnée : plus il y aurait de mariages avec des individus de la société majoritaire, plus élevé serait le degré d’assimilation des migrants. Le processus d’assimilation est donc vu, selon cette perspective, comme un processus graduel de perte d’attachement envers son groupe d’origine (Pineault, 2000): «Les mariages mixtes en se multipliant finissent par entraîner une perte d’identité du groupe. Les traditions, les valeurs, les rites disparaissent» (Bensimon et Lautman, 1974: 27). Selon certains chercheurs qui endossent cette théorie, plus l’assimilation sera grande, plus le mariage sera réussi.

Jocelyne Streiff-Fenart (1993) explique que cette certitude a été fortement ébranlée à partir des années 1970 par le constat général du maintien ou de la résurgence des liens et des loyautés ethniques à l’intérieur de la société américaine. Au cours des dernières années, plusieurs recherches sur la mixité conjugale ont infirmé la théorie de l’assimilation (par ex.Caballero, 2007; Rocheron, 1997; Rodriguez-Garcia, 2006; Spickard, 1989). Les résultats de l’étude menée par Deirdre Meintel et Josiane Le Gall, en collaboration avec d’autres chercheurs (Meintel, 2002; Meintel et Le Gall, 2009, 2007; Le Gall et Meintel, 2011, 2005) sur les couples mixtes à Montréal présentent la mixité conjugale comme un point de contact interethnique important et non comme une clé indiquant une dynamique majorité/minorité où la majorité assimile la minorité. L’étude d’Annie Leblanc (2001) sur l’identité ethnique des enfants issus de mariages mixtes entre Arméniens et non-Arméniens à Montréal rend compte du caractère plus ou moins opératoire de la théorie assimilationniste. Les résultats de sa recherche mettent en évidence le fait que ces enfants optent plus souvent pour des référents identitaires les liant au groupe minoritaire. Les travaux de Catherine Therrien menée auprès de couples mixtes dans le contexte marocain (Therrien, 2012, 2009) remettent également en question la perspective assimilationniste en montrant que plusieurs des couples rencontrés ont construit des îlots familiaux teintés plus des références culturelles du conjoint minoritaire (rapports de genre, organisation familiale, transmission de la langue), à contre-courant donc, que de la société marocaine majoritaire. Qualifiée de déterministe par Rosemary Breger et Rosanna Hill (1998), la théorie assimilationniste conduit souvent à une analyse simpliste et homogénéisante en supposant que le migrant perd sa « culture » pour assimiler une « culture » majoritaire homogène. Cette perspective théorique évacue l’individu en niant la complexité de la dynamique identitaire à laquelle font face les acteurs sociaux concernés par la mixité conjugale.

2.1.3 Les unions interculturelles comme laboratoire social

Une autre perspective, élaborée par Augustin Barbara (1992) et reprise par un nombre considérable de chercheurs, considère les unions interculturelles comme un laboratoire social. En partant de l’hypothèse que les relations d’un couple reflètent en miniature les relations des communautés auxquelles chacun appartient, l’étude de la mixité conjugale permet aux chercheurs de transposer au niveau microsocial ce qu’ils observent à un niveau microsocial. La mixité devient alors un outil utilisé pour étudier et mesurer les phénomènes d’interaction entre groupes sociaux (distance sociale, dialogue, communication interculturelle, etc.). Pour Augustin Barbara, l’étude du mariage interculturel offre une occasion privilégiée de comprendre comment, pourquoi et quand des groupes étrangers les uns aux autres créent des relations et les poursuivent. La mixité conjugale est donc présentée, selon cette perspective théorique, comme un bon analyseur des sociétés pluriculturelles (Varro, 1995).

Dans son second ouvrage, paru en 1993, Augustin Barbara reprend cette idée de laboratoire social en suggérant, cette fois, que les études sur la mixité conjugale permettent de comprendre la logique sociale qui existe dans tout couple, la dynamique du couple mixte portant en condensé, selon lui, l’histoire de tous les couples. En s’appuyant sur les recherches qu’il a menées, il affirme que chez les couples mixtes, les différences sont vite repérées au début de la vie conjugale, et ce, à travers un réseau complexe de petites crises. Ces crises, qualifiées d’instructives par Karen Dorion- Coupal (1998), révèlent le défi que doivent relever tous les couples en matière de communication. Selon les tenants de cette perspective, les couples mixtes marqueraient donc un temps d’avance utile pour les chercheurs. Gabrielle Varro (1995) insiste sur le fait que la dynamique particulière de ces couples fait apparaître de manière visible des choses qui seraient demeurées latentes chez un autre couple. Pour ces chercheurs, si les couples mixtes vivent les mêmes crises que les autres couples, l’effort de communication, d’imagination et de tolérance est bien plus important. Pour Catherine Delcroix (1993), ces couples ont donc un rôle de pionniers du dialogue et de la confrontation des cultures.

Bien qu’intéressante, cette proposition de mixité comme laboratoire socioculturel entretient une vision entitaire et homogène de la culture, comme le soulignent à juste titre Irène Fenoglio (1999) et Gabrielle Varro (1995). Il devient alors tentant de considérer les conjoints comme les ambassadeurs de leurs pays et de leur « culture » respectifs. La théorie de la mixité comme laboratoire social peut en effet mener à une opposition simpliste nationaux/étrangers qui occulte une grande complexité et une grande variabilité de situations.

2.1.4 Des théories qui placent les structures macrosociales au cœur de leur analyse

Plusieurs chercheurs expliquent la mixité conjugale par des facteurs sociologiques où le poids des structures macrosociales est plus prégnant que celui des individus. Une de ces théories, endossée par Ann B. Cottrell (1990), Anne E. Imamura (1990), Jean- Claude Desruisseaux (1990), Doris Bensimon et Françoise Lautman (1974), affirme que les unions mixtes sont une conséquence normale du brassage de populations. Elles reflètent tout simplement une augmentation de la mobilité internationale. Plus les différents groupes se retrouvent dans les mêmes écoles, vivent dans le même quartier, travaillent dans les mêmes établissements, fréquentent les mêmes lieux publics ou institutions religieuses, meilleures sont les chances de former une union mixte (Van Ham et Tammaru, 2011; Lucassen et Laarman, 2009). Il est vrai que la mondialisation a augmenté les possibilités de voyages, d’études, de stages ou de travail à l’étranger. Les occasions de rencontrese sont clairement multipliées au cours des dernières décennies. Mais comme le souligne Jane Khatibi-Chahidi (1998), plusieurs individus ont endossé un mode de vie très mobile sans pour autant s’intermarier. Présenter la mobilité comme explication au phénomène de mixité conjugale, souligne-t-il, est quelque peu simpliste.

Élaborée par Peter Blau au début des années 70 (Root, 2001, et Spickard, 1989, y font tous deux référence dans leurs travaux), la théorie nommée unbalanced sex-ratio se base quant à elle sur des facteurs sociodémographiques pour expliquer les unions mixtes. Cette perspective théorique explique que dans les endroits où le nombre d’hommes et de femmes n’est pas égal, il y a plus de mariages mixtes (Beck-Gernsheim, 2007). Le groupe minoritaire se trouvant dans l’obligation d’aller chercher son conjoint dans un groupe différent du sien. Quelques auteurs remettent en question une telle explication en insistant sur les différences possibles entre un membre du groupe arrivé récemment au pays (immigrant récent) et un autre qui y serait installé depuis plusieurs générations (descendant d’immigrant) (Pyke et Trang, 2003; Song, 2009).

C’est dans les facteurs socioéconomiques que Jocelyne Streiff-Fenart (1989) a pour sa part puisé pour tisser un lien entre les conditions socioéconomiques des individus en couple mixte et la possibilité de faire de la mixité une richesse. À la suite de ces recherches menées en France dans plusieurs milieux socioéconomiques différents, elle a constaté que la mixité n’est payante que lorsque les conditions économiques et sociales permettent au couple de donner un sens concret au thème idéologique de l’enrichissement par la différence. Pour cette sociologue, chez les gens des milieux moins favorisés, l’exposition sociale de la différence équivaut à un marquage social. Ce sont les individus provenant de milieux plus ou moins aisés ou plus ou moins intellectuels qui tirent parti d’un statut original. En donnant l’exemple du bilinguisme qui dans les milieux populaires est perçu comme un danger et une source de confusion, alors que maîtriser deux langues dans les milieux intellectuels est un avantage significatif, sa recherche montre que ce qui pour les uns est une chance de jouer sur plusieurs registres devient pour les autres un handicap.

Nous partageons le point de vue de Gabrielle Varro (1995) et d’Annie Leblanc (2001) qui voient dans ces anciens cadres d’analyse, une évacuation de l’individu. Selon ces différentes théories, le poids des structures sociales est déterminant alors que l’individu ne paraît pas avoir de rôle à jouer dans son choix matrimonial. Pour Gabrielle Varro, et nous abondons dans le même sens, ce cadre conceptuel permet difficilement de sortir des rivalités entre groupes sociaux et culturels alors que les individus ont de fait depuis longtemps quitté ces groupes ou du moins les ont relativisés dans leurs propres pratiques.

2.2. De nouvelles perspectives théoriques qui placent le sujet au cœur de l’analyse
Face à ces théories qui laissent trop peu de place à l’individu, à l’aménagement personnel et à la créativité, de nouvelles perspectives théoriques ont été proposées qui, en écho à « l’air du temps », placent le sujet et l’identité personnelle au cœur de l’analyse. Ces études récentes permettent de porter un regard tout à fait différent sur la mixité conjugale en s’attardant aux dynamiques conjugales, à l’intimité et à la vie de tous les jours, aux rapports avec la parenté, aux modes de formation des couples, aux choix du conjoint∕conjointe, aux trajectoires biographiques, à la transmission des référents identitaires aux enfants, à la construction identitaire des individus engagés dans des expériences de mixité ou issus de couples mixtes. Ce numéro spécial propose des articles qui ont étudié quelques-uns de ces thèmes ainsi qu’un survol de ces principales perspectives théoriques récentes.

2.2.1 De l’identification sociale à l’identité personnelle

Au cours des dernières années, l’attention de plusieurs chercheurs s’est tournée vers l’identité personnelle – cette définition de soi qui fait écho au « Self » de Soi-même comme un autre de Paul Ricœur (1990) et à l’identité biographique de Claude Dubar (1998) – en la distinguant de l’identité sociale, c’est-à-dire des cadres sociaux de l’identification, des catégories utilisées pour identifier un individu dans un espace social donné :

« We distinguish two kinds of identity, individual identity and social identity. The former kind highlights sense of individual (personal) distinctiveness and self-definition and is related to the feeling of continuity and uniqueness. Social identity refers to the result of identification with a group. Individual identity refers to individual idiosyncrasies which are perceived as unique, while social identity furnishes the individual with we-group feeling» (Boski dans Nowicka, 2006).

L’identification sociale, synonyme de l’identité pour autrui chez Claude Dubar (1998), marque la position du sujet dans la culture et la société (Hadiri, 2001). Elle correspond à une affiliation, à une classification, elle est assignée, imposée, et sert en quelque sorte d’étiquette de présentation officielle en société. L’identité personnelle (le soi pour soi) correspond pour sa part à une perception. Elle est revendiquée par l’individu et fait donc référence à la subjectivité de celui-ci (à la perception du sujet de son individualité, au sentiment intime que chacun a de sa spécificité). L’identité personnelle n’est donc jamais fixée définitivement (Hadiri, 2001), elle est en perpétuelle construction, alors que l’identité sociale est, de manière générale, assignée une fois pour toutes (sexe, nom, nationalité, religion, etc.).

Des chercheurs comme Beate Collet et Emmanuelle Santelli (2012), qui s’intéressent au croisement des trajectoires individuelles et sociales, ont montré que la mixité conjugale correspond souvent à une remise en cause des attributions héritées. En effet, les descendants d’immigrés auxquels elles s’intéressent, tout comme plusieurs individus engagés dans une union mixte, affichent souvent une volonté de négocier ou de s’affranchir d’un modèle hérité des parents. Comme le mentionnent ces deux sociologues, les études sociologiques sur la mixité conjugale ont privilégié les définitions « pour autrui » fondées sur des critères objectivables (affiliations héritées) au détriment des définitions « pour soi » (références choisies), c’est-à-dire aux différences/proximités culturelles subjectivement perçues et vécues. L’attention qu’elles portent à la subjectivité des acteurs sociaux et aux processus d’individualisation, et qui fait l’originalité de leurs travaux (Collet et Santelli, ce numéro, 2012, 2008, 2003), fait écho à plusieurs études ethnographiques récentes qui ont cette particularité «de remplacer la violence (symbolique) des impositions d’identités assignées (par Autrui) par des négociations, débats et dialogues des identités revendiquées et forgées dans les biographies (pour Soi) » (Dubar, 2008 : 250).

2.2.2 Les individus comme acteurs

En s’intéressant davantage aux appartenances choisies et vécues (à la façon dont les individus définissent leurs cercles d’appartenance) plutôt qu’aux affiliations attribuées (les catégories par lesquelles on classe les acteurs sociaux), les recherches de Deirdre Meintel (2008, 2002, 1992) montrent que les individus ne s’imaginent pas toujours en termes d’identité collective, mais qu’ils se construisent en tant que sujet individuel. Dans l’étude réalisée avec Josiane Le Gall sur la transmission identitaire dans les couples mixtes au Québec, l’accent est mis sur les projets identitaires parentaux, c’est- à-dire les projets formulés par les parents pour orienter les identifications à venir des enfants (Meintel et Le Gall, 2009). Dans son étude portant sur l’identité ethnique des enfants issus de couples mixtes Arménien∕non-Arménien à Montréal, Annie Leblanc (2001) insiste elle aussi sur la nécessité de rendre compte de la façon dont les individus définissent eux-mêmes leurs cercles d’appartenance. La thèse de Dan Rodriguez-Garcia (2006), qui s’est intéressée aux couples mixtes Africain-Espagnol en région catalane, montre que les individus en couples mixtes ne sont pas dans un conflit entre deux cultures, mais dans une négociation identitaire construite à partir de localisations et d’antécédents culturels multiples. Certains écrits sociologiques (Collet et Santelli, 2003; Fenoglio, 1999; Philippe, 1999; Varro, 2003), dont quelques-uns plus récents (par ex. Edwards et al., 2010; Mathieu, 2010, 2009; Collet et Santelli, 2008), ouvrent également sur une perspective plus centrée sur l’individu. Ces chercheurs redonnent aux acteurs sociaux leur pouvoir d’action en explorant les aspects créatif, plastique et pluriel de l’ethnicité et en mettant au jour la géométrie variable (Gallissot, 1987) de l’identité personnelle et en replaçant le sujet et l’action humaine au cœur de la recherche.

2.2.3 Les aspects positifs de la mixité conjugale

En s’intéressant aux trajectoires individuelles, plusieurs de ces travaux ont également comme particularité de souligner le potentiel positif de la mixité conjugale. Contrastant avec l’habitus discursif négatif 4 qui domine les études sur la mixité conjugale, la mixité est vue, selon cette perspective, comme extrêmement avantageuse, et ce, tant pour les partenaires d’unions mixtes que pour leurs enfants. Jusque-là, les études sur les couples mixtes avaient surtout insisté sur les aspects problématiques de ces unions (rapports de force et conflits entre les partenaires, opposition et pressions de l’entourage, problèmes identitaires des enfants issus de couples mixtes, suspicion de mariage blanc). Plusieurs recherches menées dans le domaine de la psychologie et la psychanalyse ont en effet dépeint la mixité comme un phénomène déviant, anormal, voire pathologique. Pour Geneviève Vinsonneau (1985), par exemple, le couple mixte représente un symptôme minoritaire, voire déviant. Marie-Claire Tico (1998) voit dans la mixité conjugale un problème directement lié aux désirs œdipiens et aux images parentales défaillantes. Selon Dominique Krzywkowski et Elian Djaoui (1975), le mariage mixte, phénomène de déviance et d’attirance pour l’interdit, nage inconsciemment dans le fantasme et la sexualité taboue. Pour Fatiha Abdouh (1989), les conjoints trouvent dans ce type d’union le pont qui relie enfin leurs deux solitudes, puisque, affirme-t-elle, les gens qui s’engagent dans de telles relations souffrent souvent de complexes d’infériorité. Pour Jean-Claude Desruisseaux (1990), il s’agit de personnes qui sont probablement rejetées par leur groupe et qui choisissent leur partenaire dans un groupe marginal. Selon cet auteur, la mixité toucherait donc les gens qui ont une faible estime d’eux-mêmes. Les perspectives qui s’attardent aux aspects positifs de la mixité apportent donc un souffle nouveau à la recherche à travers l’analyse de différentes dimensions.

L’incorporation créative
La mixité conjugale vue sous l’angle de l’incorporation créative, perspective initiée par les anthropologues Rosemary Breger et Rosanna Hill (1998) aux États-Unis, se base sur le postulat que la mixité peut être perçue et vécue au sein du couple mixte comme source possible d’enrichissement. En s’intéressant au bricolage culturel qui s’élabore dans les foyers « mixtes » et en rendant compte du rôle actif des acteurs sociaux dans la création-construction de leur quotidien, la mixité, sous l’angle de cette perspective, est plus qu’une synthèse, elle donne naissance à une culture entièrement nouvelle: « Connaissant les règles et normes des deux sociétés respectives, ils intègrent au sein de leur couple des références aux deux cultures dont ils sont détenteurs. C’est ainsi qu’à partir de deux cultures distinctes le couple mixte en construit une nouvelle : une culture conjugale unique » (Debroise, 1998 : 60). Les tenants de cette voie s’attardent à l’élaboration de ce nouvel espace.

L’amour comme force de changement
Dans son ouvrage Love’s revolution interracial marriage, Maria Root (2001) suggère d’analyser la mixité conjugale comme une sorte de révolution tranquille. Sa proposition, fort originale bien que très peu développée, place l’amour comme force au cœur de cette révolution non violente. Selon cette psychologue clinicienne, le pouvoir de l’amour, vécu à travers l’expérience de mixité, ne devrait pas être sous-estimé, puisqu’il donne l’espoir que celui-ci peut transcender des barrières que les lois ne transcendent pas. Maria Root propose de regarder l’amour comme dispositif politique. De son point de vue, la mixité comme force de changement porte les éléments nécessaires à une révolution non violente. L’idée avancée par Catherine Delacroix (1993) allait dans le même sens que celle de Maria Root : la mixité conjugale est un défi porteur de découvertes et de modération par opposition aux fanatismes de tout ordre. Le livre d’Amin Maalouf, qui affirme qu’apprendre à vivre sereinement notre identité composite nous empêche de tomber dans le fanatisme, conclut sur la même idée : « Chacun de nous devrait être encouragé à assumer sa propre diversité, à concevoir son identité comme étant la somme de ses diverses appartenances, au lieu de la confondre avec une seule, érigée en appartenance suprême, et en instrument d’exclusion, parfois en instrument de guerre » (Maalouf, 1998 : 183).

La mixité comme voyage
Face au constat d’un cadre théorique vieilli5 qui ne semblait pas tout à fait adapté à la mouvance de la situation contemporaine, et en continuité avec ces recherches qui s’intéressent à l’identité personnelle et au potentiel positif de la mixité conjugale, les recherches de Catherine Therrien (2012, 2009, 2008) menées dans le contexte marocain se sont données comme objectif de proposer un nouveau langage qui rende compte de la mixité conjugale de manière contemporaine. Tracer un parallèle entre la métaphore du voyage prolongé (inspirée d’un texte de Fernandez, 2002) et l’expérience des couples mixtes a contribué à dynamiser le cadre théorique entourant la mixité conjugale. Aborder la mixité comme un voyage (défini dans ses travaux comme une expérience de distanciation avec le « home » de l’enfance) a ouvert sur une nouvelle perspective qui permet de rendre compte du mouvement présent au cœur de cette expérience (à travers une analyse et une écriture dynamiques refusant de fixer et de cloisonner dans des catégories hermétiques), de souligner le potentiel positif de la mixité conjugale tout en rendant compte de l’ambivalence dont est empreint ce voyage. S’attaquer à des paradigmes pensés comme résolument péjoratifs était, selon la thèse de cette anthropologue, une démarche nécessaire pour renouveler le langage entourant la mixité conjugale.

La mixité comme reflet d’une société pluraliste
Les travaux de Deirdre Meintel et Josiane Le Gall (Meintel, 2002; Meintel et Le Gall, 2009, 2007; Le Gall et Meintel, 2011, 2005), qui portent sur la mixité conjugale à Montréal, et plus spécifiquement sur les projets identitaires parentaux, suggèrent que la mixité peut être le reflet d’une société pluraliste. Leurs recherches montrent que les unions mixtes ne conduisent pas nécessairement vers une assimilation, mais qu’elles sont plutôt le reflet d’un paysage social pluraliste qui s’étend de plus en plus au Québec depuis la Révolution tranquille. En mettant de l’avant leur projet de transmission d’un héritage pluraliste, les individus en couple mixte qu’elles ont rencontrés se présentent comme des avatars de la société québécoise à venir. Ces parents expriment une volonté de maximiser les possibilités de ressources symboliques de leurs enfants. Leurs projets identitaires parentaux, qui s’ancrent dans une idéologie pluraliste, sont conçus comme des stratégies pour renforcer certains aspects identitaires. Les parents reconnaissent la

5 Gabrielle Varro (2003) souligne que la mixité conjugale se conjugue sous l’emprise de notions vieillies et constate le manque de vocabulaire adapté aux situations actuelles. Dans un article publié en 1999, Doris Bensimon invitait déjà les chercheurs à développer un vocabulaire plus approprié à la situation contemporaine de mixité conjugale.

La transmission d’une identité multiple
L’arrivée de l’enfant dans une union mixte expose les parents à des décisions alors que se pose la question de la transmission de traits identitaires associés à leurs références culturelles différentes. Le prénom, le baptême, la circoncision, les principes d’éducation, la langue, la religion et la nationalité, notamment, font tous l’objet de négociation. L’identité transmise aux enfants, longtemps englobée dans la recherche sous la rubrique des rapports conjugaux et de la vie conjugale, est récemment devenue un objet d’étude spécifique, bien que toujours très peu étudié (Allouche-Benayoun, 2011; Edwards et al., 2010; Mathieu, 2010, 2009; Meintel, 2002). Plusieurs des recherches sur la question documentent la transmission de multiples références culturelles par les couples mixtes à leurs enfants. Dans la recherche de Deirdre Meintel et de Josiane Le Gall sur les unions mixtes au Québec, il est montré que des efforts sont faits par les parents pour assurer la transmission des éléments culturels ou linguistiques provenant des différents héritages des parents: école du samedi, vacances au pays d’origine, présence des grands-parents. Séverine Mathieu (2009, 2010), dans son étude sur les couples mixtes Juif∕non-Juif en France, examine ce que ces couples considèrent comme important et souhaitent transmettre à leurs enfants. Elle montre que les parents transmettent non pas une pratique religieuse, mais un ensemble de dimensions qui constituent à leurs yeux les marqueurs d’une nouvelle judéité en construction. Edwards et ses collègues (2010) s’attardent pour leur part à la façon dont des couples mixtes en Grande-Bretagne, de religions ou de groupes ethniques différents, comprennent et négocient leurs différences et appartenances au moment d’éduquer leurs enfants. Leur étude a mis au jour une grande diversité dans les réponses des parents lorsqu’ils ne partagent pas un avis similaire concernant l’éducation des enfants ainsi que la prédominance des mères dans la prise de décision.

La mixité comme héritage
Les individus issus d’unions mixtes font souvent face à des choix identitaires que ne connaissent pas de la même façon les autres enfants. De tels choix découlent de leur exposition (ou non) à plusieurs langues, à plusieurs religions, à différentes références culturelles, au fait d’avoir plus d’une nationalité ou encore être mobile entre deux ou plusieurs pays. Si la position dominante des auteurs qui se penchent sur la question est d’insister sur les problèmes ou les crises identitaires que connaissent ces personnes, de plus en plus d’auteurs font également ressortir les avantages associés à une telle expérience, alors qu’on admet plus facilement depuis quelques années la dimension dynamique de l’identité (Le Gall, 2003). Tout en reconnaissant que la mixité peut être vécue douloureusement par certaines personnes, notamment en raison de sa réception dans une société donnée, ces auteurs montrent qu’elle peut générer plusieurs aspects positifs : estime de soi positive, vision optimiste de la vie, héritage culturel enrichi, aptitude à se faire comprendre dans tous les milieux, créativité, habileté à accepter les autres, ouverture et curiosité, sensibilité à la diversité des valeurs, pratiques et attitudes culturelles (Breger et Hill, 1998; Maxell, 1998; Stephan et Stephan, 1989). Dans une recherche sur les jeunes issus de couples asiatiques-américains, Sultana Choudhry (2010) indique que les individus mixtes possèdent une « identité caméléon » qui, par rapport aux jeunes minoritaires, leur permet de mieux s’adapter aux situations dans lesquelles ils se retrouvent tout en étant aussi mieux équipés qu’eux pour faire face au racisme.

Placer le sujet et l’identité personnelle au cœur de l’analyse ouvre non seulement sur des thèmes aussi variés que le choix du conjoint∕conjointe ou la construction identitaire, mais également sur une multitude de points de vue, celui des conjoints, des enfants issus de couples mixtes, ou même encore de l’entourage. Cela transforme aussi le langage : on parle en termes de négociation, de choix, d’identité personnelle, de bricolage culturel, de multiplicité, d’enrichissement, de créativité, d’action humaine, de projet, de voyage. Enfin, une telle approche se détache également d’une perspective culturaliste, longtemps dominante dans le champ de la recherche sur les couples mixte, qui cherche à faire des différences culturelles ou de la culture un facteur explicatif des rapports sociaux. Accorder une place privilégiée au point de vue des acteurs sociaux, comme nous le rappelle Gabrielle Varro (ce numéro), ne doit cependant en rien nous soustraire à l’exercice rigoureux de rendre compte du cadre social, historique, politique et idéologique dans lequel évoluent les couples mixtes, mais également dans lequel, en tant que chercheurs, nous développons nos analyses et nos concepts. Les courants théoriques ont leurs propres histoires. Analyser de manière éclairée ces contextes et expliciter notre rapport personnel à l’objet de recherche (Varro, ce numéro; Collet, 2004; Therrien, 2008) nous permet de refléter les préoccupations de notre époque – dominées dans le monde contemporain par la question identitaire –, et donc de rendre compte de la construction sociale, historique, politique et idéologique de ce vaste champ d’études qu’est la mixité conjugale.

3. Présentation des articles du numéro spécial

Le présent numéro intitulé « Regards croisés sur la mixité conjugale » vise à donner la parole à des auteurs de divers horizons qui adoptent une approche centrée sur l’individu. Il est composé de cinq articles. En première partie, nous présentons deux textes plus théoriques qui s’intéressent à la notion de mixité. Dans le premier texte, Gabrielle Varro, dont le travail sur les unions mixtes est reconnu internationalement, esquisse son autobiographie intellectuelle, faisant le lien entre son histoire personnelle, prise dans la « grande » histoire, et l’évolution de sa problématique. Elle fait ensuite une analyse historique très riche de l’usage de la notion de couple mixte, à la fois dans la société et dans les sciences sociales. Alors que les approches de terrain sur les unions mixtes ont longtemps fait l’impasse sur les contextes plus larges, l’auteure montre comment « la mixité » est perçue différemment selon l’époque et le contexte. Elle poursuit en faisant l’éloge de la mixité. Sur le plan langagier, le terme présuppose un rapport égalitaire, contrairement à son histoire, souvent faite de discrimination et de souffrances comme elle nous le rappelle ici. La dernière partie du texte propose une vue d’ensemble des différents points de vue adoptés dans les travaux français sur la mixité à travers le temps. Dans le second texte, Dan Rodriguez- Garcia examine lui aussi la notion d’union mixte, mais cette fois-ci à travers une analyse des références européennes et nord-américaines (États-Unis et Canada) sur la question. Il met en évidence les limites, les pièges et les dérives de la littérature existante en ce qui a trait à la conceptualisation de la notion de mixité, nous incitant ainsi à réfléchir à la complexité de la notion et à définir rigoureusement le sens avec lequel nous abordons celle-ci à travers nos recherches.

La deuxième partie repose sur trois études traitant des aspects de la mixité relativement inédits dans le champ des études sur les unions mixtes, autant par leurs thèmes que par le contexte dans lequel ces recherches ont été menées. Le texte de Fong-Ming Yang aborde un sujet très peu traité jusqu’ici, soit le rapport entre la famille d’origine du conjoint ou de la conjointe non étranger/étrangère et le conjoint ou la conjointe étranger/étrangère dans les situations de mixité conjugale, à travers les repas pris en commun. En plus de l’originalité de son sujet, ce texte contraste avec les études qui insistent le plus souvent sur les conflits que l’union mixte suscite au sein de l’entourage. L’auteur s’appuie sur une recherche réalisée auprès de couples franco- taiwanais résidant à Taiwan pour analyser la commensalité différenciée suivant les positions des brus et des gendres d’origine française – amoureux(se), concubin(e) et époux(se) – dans sa belle-famille taiwanaise. Le partage du repas est vu comme l’occasion pour le conjoint migrant de réinterroger ses références culturelles et en cela devient une scène privilégiée au cours de laquelle peuvent se rejouer les liens conjugaux au sein du couple mixte. De plus, l’aide qu’il reçoit de la belle-famille à l’occasion des repas facilite son intégration à la société taiwanaise, bien que seuls les hommes français en sont bénéficiaires. Les pratiques de commensalités et les relations à la belle-famille ne peuvent donc être comprises en dehors d’une analyse des rapports de genre dans la société locale, puisque ce qui est attendu du conjoint∕conjointe diffère selon qu’il est une femme ou un homme.

Dans leur article, Beate Collet et Emmanuelle Santelli traitent d’un sujet plutôt bien documenté jusqu’à présent dans les études sur les couples mixtes, mais le font à partir d’un angle tout à fait différent. Elles examinent les options conjugales des descendants d’immigrés d’origine maghrébine, sahélienne et turque en France. À partir des données d’une enquête quantitative menée en France, les auteures s’interrogent sur la manière dont ces jeunes adultes, qui ont grandi avec les références de la société française, arbitrent entre l’héritage culturel de leurs parents immigrés et leurs aspirations personnelles. Elles partent du postulat que la réalité conjugale mixte des descendants d’immigrés représente une option conjugale parmi d’autres, permettant ainsi de conjuguer les dimensions sociales et culturelles du phénomène étudié. Après avoir souligné la spécificité des descendants d’immigrés étudiés par rapport aux autres descendants d’immigrés, les auteures comparent les différentes options conjugales entre elles et par rapport aux couples composés de deux conjoints français sans ascendance migratoire. Tout en apportant un éclairage nouveau sur la question de l’intégration, les résultats de l’étude ont également le mérite de permettre de battre en brèche un certain nombre d’idées reçues au sujet des descendants d’immigrés.

Le texte de Fred Dervin, qui s’appuie sur une méthodologie qualitative et une perspective constructionniste, s’intéresse aux constructions identitaires chez trois couples mixtes à Hong Kong, composés d’un partenaire français et d’un partenaire de Hong Kong. Pour faire émerger les malentendus et jeux identitaires dans les discours des couples, l’auteur examine l’utilisation des langues chez des couples qui ont recours à une lingua franca pour communiquer au quotidien, soit l’anglais ou encore une autre langue. Dans un premier temps, le choix des langues que partagent les conjoints au quotidien est analysé, ce qui permet de faire ressortir les relations divergentes que les interviewés entretiennent avec le français, l’anglais et le cantonais. La section suivante porte sur les caractéristiques des langues partagées. Y est observé l’usage de l’alternance codique et du mélange, une pratique couramment pratiquée entre le cantonais et l’anglais. De l’utilisation des langues on passe aux perceptions qu’ont de leur couple les individus interviewés, mais aussi aux différences culturelles et linguistiques. L’auteur termine en montrant comment les identités peuvent se construire en relation aux langues. Un des principaux mérites du texte, qui porte sur une thématique originale dans un contexte complexe qui ne l’est pas moins, consiste à présenter une vision dynamique des identités tout en rejetant une vision essentialiste de la culture.

4. Conclusion

Ce survol des différentes perspectives théoriques qui ont structuré le champ des études sur la mixité conjugale nous a permis de souligner le potentiel des travaux qui placent l’identité personnelle au cœur de leur analyse. Cette nouvelle façon d’appréhender la mixité conjugale a le mérite de faire émerger de nouveaux thèmes d’analyse, qui restent néanmoins encore trop peu développés dans les études. En conclusion, nous aimerions faire ressortir des pistes de recherche en insistant sur quelques-uns de ces thèmes qui retiennent particulièrement notre attention. Tout d’abord, comme le montre Fred Dervin à propos des langues parlées dans les couples mixtes, ce type d’union peut mener à l’adoption par les individus de nouvelles références (parcours de conversion religieuse, apprentissage d’une nouvelle langue, acquisition d’une nouvelle nationalité, adoption de nouvelles références culturelles, etc.). Se pose alors la question des changements qui s’opèrent (ou non) sur les conjoints de couples mixtes, toujours en tenant compte de l’impact du contexte (social, national, juridique, politique, culturel). Quels sont les effets des contacts culturels au sein du couple mixte? Peuvent-ils conduire à une transformation culturelle? Comment les conjoints se situent-ils par rapport à leur(s) groupe(s) d’appartenance? Quelles sont les valeurs intériorisées et/ou remises en cause? Quelles sont les stratégies développées par les individus pour faire face aux frontières symboliques et légales mises en place par la société dans laquelle ils vivent? Ensuite, nous avons signalé le manque de recherches sur les choix effectués par les parents en couple mixte concernant les marqueurs identitaires de leurs enfants et les diverses stratégies mises en œuvre pour les concrétiser. La compréhension des éléments transmis et des configurations culturelles dans lesquelles évoluent ces familles permettrait de voir si le processus de transmission donne lieu ou non à une synthèse des contenus parentaux. La façon dont les personnes issues d’unions mixtes participent au processus de construction de leur identité mérite également de faire l’objet de plus amples enquêtes : comment réagissent-elles aux choix parentaux? Comment définissent-elles leur(s) appartenance(s)? Quels sont les processus d’affiliation et de désaffiliation? Quelle influence les rapports de pouvoir (genre, structure religieuse, influence de l’entourage) ont-ils sur ces constructions identitaires? Enfin, comme le signale Fong- Ming Yang dans son article, la question de l’entourage des couples mixtes peut apporter un éclairage nouveau sur divers aspects de l’identité personnelle : Quelle est la nature des rapports entretenus entre les couples mixtes et la parenté? Quel est le rôle de cette dernière dans l’intégration des conjoints? Quel est le rôle des réseaux de parenté dans la transmission aux enfants de marqueurs identitaires? Autant de questions qui demandent à être étudiées pour saisir toute la complexité de la mixité conjugale et faire ressortir le potentiel créateur des individus qui évoluent au sein de telles unions.

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